J'ai trouvé un excellent texte publié par
Jeune Afrique le 13 août 2006, il m'a tellement frappé que j'ai décidé de publier un long résumé. L'article a été écrit par
ABDELAZIZ BARROUHI que je remercie au passage.
Moncef Bey, les juifs, l’Axe et les AlliésTUNISIE - 13 août 2006 - par ABDELAZIZ BARROUHIDe son accession au trône, en juin 1942, à son abdication en juillet 1943, le souverain de la régence de Tunis fit tout ce qui était en son pouvoir pour protéger son peuple, toutes confessions confondues. A sa montée sur le trône, le 19 juin 1942, Moncef Bey était destiné à devenir un souverain de façade, comme ce fut le plus souvent le cas pour ses prédécesseurs depuis l’établissement du protectorat français sur la Tunisie en 1881. Sur le papier, le bey, « souverain de la régence de Tunis », dispose d’un gouvernement sous tutelle de l’administration coloniale. Dans les faits, c’est le résident général et son administration qui détiennent les pouvoirs en matière législative, de justice, de diplomatie, de police, de finances et de budget. Les quelque deux cents gardes du bey ont un officier de l’armée française à leur tête. Le rôle des beys est quasiment limité à l’apposition du sceau beylical sur des décrets préparés par l’administration coloniale, ainsi qu’à la distribution, à la manière des républiques bananières, d’une décoration appelée Nichan al-Iftikhar à des personnes choisies par ces mêmes autorités. De ces deux prérogatives formelles, Moncef Bey va tirer sa force pour devenir, selon ses propres termes, un « bey pour de bon ».
En France, et sur injonction du Reich, le gouvernement collaborateur de Vichy a promulgué une législation antijuive. Celle-ci devait être étendue aux dépendances françaises, dont la Tunisie. De 1941 jusqu’à sa mort en juin 1942, le prédécesseur de Moncef Bey, le falot Ahmed Pacha Bey II, réputé être « le bey des Français », a mollement résisté puis a fini par apposer son sceau sur la législation vichyste relative au statut des juifs et la limitation de leurs pouvoirs économiques. Lui succédant, Moncef Bey ne plie pas. Non seulement il fait en sorte que cette législation devienne inopérante, mais aussi, et malgré les pressions, il refuse net d’apposer son sceau sur de nouveaux décrets raciaux qui lui sont présentés par l’administration coloniale.
« Vous êtes mes fils, au même titre que les musulmans », déclare-t-il aux dirigeants de la communauté juive invités au palais beylical à la cérémonie de son intronisation.
Le premier projet de décret vichyste auquel Moncef Bey refuse son sceau est celui imposant aux juifs le port de l’étoile jaune. Passant outre l’accord du bey, l’amiral Jean-Pierre Esteva, résident général de France en Tunisie, impose en février 1943 le port de l’étoile par un arrêté qu’il signe lui-même, malgré les réserves du conseiller juridique français du gouvernement. Cette illégitimité a sans doute contribué à ce que la mesure ne fût pas appliquée. Les juifs en Tunisie ne porteront finalement pas l’étoile jaune, sauf à Sousse, ville où le Parti populaire français (PPF, pétainiste), très actif, l’imposera pendant une brève période.
Le second projet de décret instituant les camps de travail et le travail obligatoire pour la construction d’ouvrages destinés à la protection des positions des forces de l’Axe et de Vichy est également refusé par Moncef Bey. Les pressions sur lui et son gouvernement ayant encore échoué, Esteva utilise la même procédure des arrêtés qu’il signe lui-même le 10 avril 1943.
Le troisième texte auquel le gouvernement de Moncef Bey s’oppose a pour but de chasser les commerçants juifs des organismes économiques afin de faire place nette aux Français « aryens ». Là aussi, en l’absence du sceau du bey, c’est par un arrêté du résident général que la mesure est prise. ... M’hamed Chenik, le Premier ministre de Moncef Bey, refuse de se faire représenter tant que les délégués juifs à la chambre tunisienne de commerce en sont exclus.
En fait, bien avant l’arrivée des forces allemandes, Moncef Bey a, durant l’été 1942, donné à son gouvernement un mot d’ordre consistant à veiller à la protection des juifs. Et dès le début de l’occupation de la Tunisie, en novembre 1942, le bey est intervenu pour protéger la population, en particulier les juifs, des exactions germano-italiennes. Lorsque, quelques jours après leur débarquement en Tunisie, les Allemands arrêtent cinq dirigeants du Conseil de la communauté juive, ils les relâchent le lendemain. Et ce à la demande expresse de Moncef Bey.
À l’entrée des troupes alliées dans Tunis, le 7 mai, Moncef Bey se trouve dans son palais d’été à Hammam Lif, où se sont réfugiées plus de 100 000 personnes qui ont fui la capitale. Les Allemands ont installé leur ligne de front non loin du palais, qui, dans la foulée, est touché par les bombardements anglo-saxons. Deux Britanniques y font irruption, rejoints par leur officier. Moncef Bey les reçoit et s’apprête à décorer l’officier du Nichan al-Iftikhar. Mais c’est pour l’arrêter qu’ils sont là. Ils l’emmènent de force à Tunis où sa voiture est garée devant l’ambassade de France. Sans qu’on sache comment il a été mobilisé, un groupe de personnes parmi lesquels on a cru reconnaître de jeunes juifs l’insultent et lui crachent dessus.
Une demi-heure après, le secrétaire général de la résidence générale vient tirer Moncef Bey de ce mauvais pas avec des excuses. Sur ordre de Giraud, le général Alphonse Juin, fraîchement arrivé comme résident général par intérim après la fuite d’Esteva avec les Allemands, vient le sommer d’abdiquer. Réponse du bey :
« J’ai juré de défendre mon peuple jusqu’à mon dernier souffle. Je ne partirai que si mon peuple me le demande. » Le 14 mai à l’aube, il est enlevé et placé à bord d’un Viking de l’armée de l’air française qui s’envole de l’aéroport d’El-Aouina. Pendant qu’il est dans les airs, on annonce sa déposition par une simple ordonnance signée par le général Giraud, commandant en chef civil et militaire en « Afrique française », basé à Alger. L’avion atterrit à Laghouat, dans le Sahara algérien, où les conditions de vie en plein été forcent le prince à abdiquer et à renoncer définitivement au trône, le 8 juillet 1943. Il est alors transféré dans le nord de l’Algérie avant d’être placé en résidence surveillée à Pau, en France, où il mourra en 1948.
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