Et pourquoi pas une mer en plein disert à l'intérieur même de la Tunisie!
C''était en tout cas l'idée d'un certain François Elie ROUDAIRE hydrographe et officier français , relier Chott Jrid avec avec le golfe de Gabès au moyen d'un canal assez large et assez profond !
voici son projet en détaille
Les "Chott" de l'Algérie à la TunisieLe projet d'établissement d'une mer intérieure africaine.
On sait qu'au sud de l'Algérie et de la Tunisie, au pied de l'Aures et aux abords du Sahara, s'étend, sur une longueur de près de quatre cents kilomètres, une vaste dépression dont le fond est couvert de sel cristallisé et qui se divise en plusieurs cuvettes secondaires désignées par les Arabes sous le nom de chotts.
Les principaux de ces chotts sont, en partant de l'est, c'est-à-dire de la mer,
le chott.El-Djerid, le chott Rharsa et le chott Melrir. Le premier, le plus rapproché du golfe de Gabès, est en Tunisie; le second, partie en Algérie et partie en Tunisie, et le troisième en Algérie. Ces lacs sont tellement fangeux qu'il faut toujours craindre de s'y aventurer. Que de caravanes y ont péri sans laisser aucune trace! Il serait téméraire de les traverser sans guide, car le chemin n'est jalonné que par des troncs de palmiers ou de simples pierres, et il est accidenté, étroit comme un cheveu, tranchant comme un rasoir; les bêtes de somme ne peuvent y marcher qu'à la file, une à une, doucement et avec mille précautions ; et malheur au chameau assez imprudent ou assez osé pour s'écarter, ne fut-ce que de quelques pas, du sentier tracé! La croûte saline s'ouvre aussitôt, comme une trappe invisible, et l'engloutit.
le bassin des chotts
Les vieillards de la région racontent que, vers la fin du siècle dernier, on trouva près de Nefta les clous et les débris d'un navire de forme antique. Ce fait semblerait indiquer que les eaux de la mer occupaient jadis les bassins des chotts, alors complètement inondés et navigables. On n'en saurait douter, après avoir lu le passage suivant, d'une exactitude et d'une précision en quelque, sorte topiques: " On assure, dit Pomponius Mêlas, qu'à une assez grande distance du rivage, vers l'intérieur du pays, il y a des campagnes stériles où l'on rencontre, s'il est permis de le croire, des arêtes de poissons, des coquillages, des écailles d'huîtres, des pierres polies comme celles qu'on relire de la mer, des ancres qui tiennent aux rochers."
Dans ces campagnes stériles situées vers l'intérieur du pays, au sud de l'ancienne Cirta (Constantine), qui ne reconnaît le Sahara algérien ? Ces cailloux arrondis par les flots, ces ancres, ces coquillages, ne sont-ils pas des témoins irrécusables de la présence de la mer dans ces lieux?
Maintenant quel était le nom de celte vaste mer intérieure? Les savants sont d'accord pour voir dans les chotts tunisiens le fameux golfe de Triton dont il est parlé eu maints endroits et notamment dans le voyage fabuleux des Argonautes. A une époque indéterminée, le niveau des. eaux aurait graduellement baissé par l'évaporation et les flots se seraient, peu a peu retirés, laissant à sec les lieux précédemment submergés.
Serait-il possible de les inonder de nouveau?L'auteur du projet d'établissement d'une mer intérieure africaine, le commandant Roudaire, après avoir étudié la question sur les lieux, après avoir visité les chotts depuis l'embouchure de l'oued Melah jusqu'à Biskra et s'être rendu compte de la nature des terrains environnants n'hésite pas à répondre affirmativement.
Les chotts Melrir et Rharsa étant au-dessous du niveau de la mer, il suffirait, d'après lui, de les mettre en communication avec le golfe de Gabès au moyen d'un canal assez large et assez profond ; les eaux de la Méditerranée se précipiteraient aussitôt dans ces cavités gigantesques et les rempliraient.
La superficie submersible du chott Melrir étant de 6,000 kilomètres carrés, celle du chott Rharsa de 1,300 kilomètres carrés, la mer projetée présenterait une surface totale de 8,200 kilomètres carrés, égale par conséquent à quatorze ou quinze fois celle du lac de Genève, qui n'est que de 577 kilomètres carrés.
Sans compter que cette surface pourrait bien un jour s'accroître de toute la surface du chott El-Djerid. Ce chott, il est vrai, se trouve au-dessus du niveau de la mer, mais il est occupé, du moins dans sa partie centrale, par des masses considérables d'eau stagnante et de vases fluides. N'est-il pas permis de supposer qu'en le mettant en communication par une ou plusieurs tranchées soit avec la Méditerranée, soit avec le chott Rharsa, on obtiendrait, à la longue par le drainage un affaissement qui donnerait naissance à une nouvelle dépression inondable?
Dans tous les cas, ce drainage aurait pour résultat de rendre à la culture une surface considérable de terrains composés d'un limon excessivement fertile.
Voilà dans ses lignes principales la conception vraiment grandiose du commandant Roudaire.
Est-elle réalisable?
Là-dessus les avis sont partagés, mais M. Ferdinand de Lesseps, dont nul ne saurait contester la compétence en matière de travaux, croît à la possibilité et au succès de l'entreprise.
Quels avantages n'en résulterait-il pas pour l'Algérie et la Tunisie, dont les conditions physiques, agricoles, politiques et commerciales se trouveraient transformées de la façon la plus merveilleuse!
Les chotts seraient assainis et il n'y aurait plus à redouter leurs bas-fonds boueux, marécageux, imprégnés de sel, qui sont, à certains, moments de l'année, de véritables foyers d'insalubrité palustre.
Le climat deviendrait immédiatement plus tempéré, les régions avoisinants d'un meilleur rapport.
L'énorme évaporation produite par le soleil saharien, poussée par les vents du sud vers les crêtes élevées de l'Aurès, irait s'y résoudre en pluies, y créer des sources, y ramener la fertilité qui faisait jadis des plateaux de Sétif le "grenier de Rome".
Le sirocco, qui dessèche les moissons en fleur, arriverait inoffensif, bienfaisant même.
Les vastes plaines incultes situées entre les chotts et l'Aurès, désormais régulièrement irriguées par les ruisseaux descendus de la montagne, seraient rendues à la culture.
La fraîcheur, l'humidité, les pluies permettraient de tirer parti de la fécondité naturelle d'un sol qui est recouvert d'une couche profonde de terre végétale et qui reste vierge depuis des siècles.
Les faits historiques viennent confirmer ces prévisions.
En effet, du temps des Romains, lorsque la mer remplissait ces cavités, le sud de l'Algérie et de la Tunisie était incomparablement plus fertile que de nos jours. "Les bords du lac Triton, dit Scylax, habités tout autour par les peuples de la Libye, sont extrêmement riches et fertiles." La stérilité actuelle de ces régions a été la conséquence du dessèchement des chotts.
LA TUNISIE SON PASSE ET SON AVENIR
P.-H. ANTICHAN
1895